Manager : entre pression sociale d'entreprise et quête individuelle.

Quelles sont les sources de pressions des managers ? Les managers aussi sont sous pression. Mais sommes-nous conscients de toutes les sources ?

Manager : entre pression sociale d'entreprise et quête individuelle.
Photo de Chantal & Ole

Les managers sont sous pression. (Secret de Polichinelle)

A la lecture de cette phrase, les causes principales qui nous viennent à l'esprit sont généralement :

  • les objectifs à atteindre
  • les subordonnés à satisfaire
  • les conflits à régler
  • la relation avec les autres managers
  • la relation avec la direction
  • le jeu politique
  • ...

Et c'est vrai, le métier de manager vient avec son lot de " pressions" principalement car il intervient au carrefour des demandes et intérêts de plusieurs parties prenantes.

Ceci étant dit j'ai, au cours de ma carrière, pu en détecter une dont il est, assez curieusement, rarement question. Je l'ai nommée : la quête individuelle (voire quête existentielle pour certains).

Sur les dix dernières années, je me suis questionné sur la (les) source(s) potentielle(s) de cette pression et suis arrivé à l'identification des deux mécanismes suivants :

  1. la pression sociale d'entreprise, c'est à dire la pression de l'environnement d'entreprise sur le manager, exercée surtout sur le "management" de ce dernier (au sens de thématique), et la manière dont il doit être réalisé,
  2. la pression personnelle du manager, pression de l'individu sur lui-même.

J'utiliserai donc cette double structuration pour la suite de mon propos.

La pression sociale d'entreprise sur le manager.

Le manager moderne, lecteur assidu de magazines spécialisés sur le management ou de publications LinkedIn "virales" (comprenez "likées" par un nombre important de personnes dont le management n'est pas le métier) a droit à un lot assez conséquent d'injonctions.

En voici quelques-unes :

  • la bienveillance : comme abordé dans mon article sur le "manager bienveillant", l'injonction à la bienveillance est une idiotie dès lors que l'organisation n'en a pas fait, pour elle-même, une valeur centrale de comportement. Toujours est-il que, partout sur les réseaux et Internet, le manager qui ne se revendiquerait pas, haut et fort, bienveillant, ne collerait plus au cadre défini par l'époque moderne. C'est une source de pression sociale d'entreprise ;
  • l'innovation managériale : deuxième injonction. Innovez chers managers, ludifiez, montrez que vous êtes, non seulement dans la performance mais aussi dans un renouvellement régulier de vos pratiques, quand bien-même vous n'en maîtriseriez pas les fondamentaux. Cette course folle à vouloir développer un management "plaisant" voire distrayant est source de pression ;
  • la "protection de l'équipe" : troisième injonction qui vient principalement des équipes elles-mêmes, dans une démarche qui peut sembler vraiment paradoxale dans la mesure où comprenez ici qu'il est attendu du manager qu'il soit une sorte de créature hybride entre un responsable et un protecteur. J'y vois une demande de posture paternaliste, que je déconseille fortement.
  • être un leader : éternelle confusion entre manager et leader. Il est désormais demandé aux cadres de mener les équipes comme le ferait un chef de guerre, le glaive à la main, en première ligne. Le leader n'a jamais ouvert que son propre chemin, inspirant ainsi les autres à le suivre voire à développer le leur...
  • ne pas être HBR (has been, réac, boomer) : comprendre par cette injonction que le manager trop "strict", manifestant fermeté et rigueur d'application sur certains sujets n'est plus véritablement le bienvenu en entreprise. Ici, la pression vient donc plutôt de l'image, au sens de marque personnelle, attendue par les entreprises dans leur démarche de marque employeur. Tout ceci jouant également sur le niveau de légitimité informelle dont bénéficiera le cadre.

Comme point trop n'en faut, je cesse ici mes exemples de sources de pression d'entreprise. Vous l'aurez compris, ces dernières dénaturent l'action managériale en obligeant à choisir un ou plusieurs chemins qui ne collent potentiellement, ni à sa posture managériale propre, ni à sa personnalité, ni à ses valeurs.

Venons-en maintenant à l'individu.

La pression personnelle du manager

Sous la cape du manager se trouve un individu.

L'identification véritable des motivations des salariés est sans doute l'un des plus grands défis des services RH dans le monde. Le manager l'exacerbe dans la mesure où il représente le relais entre les strates hiérarchiques et les services.

La quête individuelle et personnelle du manager et de son individualité sous-jacente vient, elle aussi, avec son lot de pressions.

Je sous-catégorise cette quête en deux objectifs : professionnel et personnel.

Le manager et son objectif professionnel

Le manager opérationnel est généralement sur une ligne ascendante.

Je ne connais que très peu, voire pas du tout, de managers opérationnels dont la volonté première serait de rester éternellement aux opérations. Je considère donc que le passage, souvent obligé dans certaines entreprises, par le poste de manager terrain est principalement la manifestation d'une ambition professionnelle de développement de carrière.

Partant également du principe que la méritocratie n'est pas toujours récompensée, le manager ambitieux (rien de péjoratif ici) est très vite invité (contraint ?) à se soumettre aux injonctions décrites en première partie, souvent utiles à d'autres acteurs de l'organisation d'ailleurs.

A ces dernières s'en ajoute parfois une autre, à la frontière avec la quête individuelle personnelle décrite plus tard : la nécessité de manifester sa présence professionnelle.

Généralement, cela se traduit par le besoin de structurer les opérations selon sa vision des choses et sa conception. En soi, c'est ce qui est attendu d'un cadre, mais voilà, pour certains cela vire à l'obsession allant jusqu'à la cécité et surdité professionnelle.

Dans une démarche d'amélioration continue, quand bien-même serait-elle informelle, les entreprises sont censées bâtir l'organisation de demain à la lumière de l'expérience passée. Le manager, n'échappe pas à cette règle. Et pourtant, sous la pression des premières injonctions présentées, de nombreux managers "ne regardent pas dans la corbeille", comprendre ici : ce qui a déjà été tenté, et peut-être réussi, par les prédécesseurs.

Aussi, le risque étant que dans sa quête de reconnaissance de sa présence professionnelle, le manager empêche la construction d'une forme de continuité.

Deux notions s'affrontent donc ici : le besoin d'individualité et le bénéfice pour l'ensemble.

Cette opposition est aussi facile à obtenir, que dramatique pour l'entité car le manager est garant de la performance de son service, mais il n'est pas le garant de la performance de l'entité (au sens d'entreprise).

Le cadre travaillerait donc d'abord pour lui, pour sa réussite, la réussite de ses équipes, qui constitue d'ailleurs un morceau de la sienne, mais sans avoir une image macro.

Assez contre intuitivement cette situation est, somme toute, assez banale : le manager est responsable d'un périmètre de responsabilité dont on n'accepterait pas qu'il déborde. En résumé, le manager veut exister parce qu'il est sur un parcours de carrière / de croissance pouvant devenir rapidement une quête assez solitaire de reconnaissance, s'il est mal encadré par le service RH ou son propre management.

Je vous invite également à considérer l'approche par l'ego d'un manager arrivant sur un poste à responsabilités précédemment occupé par un "rival", quand bien même ce dernier aurait mis en place des éléments bénéfiques pour l'organisation, il se sentirait dans l'obligation d'effacer ledit travail pour venir y mettre sa patte et s'affirmer dans une démarche assez ostentatoire de preuve de capacité.

Le manager et son objectif personnel

Voyons maintenant les sources de pression établies par le manager lui-même dans sa quête individuelle et personnelle.

💡
Postulat initial : tous les besoins qu'un humain cherche à satisfaire créent en lui une forme de pression le poussant à agir.

Pour faciliter la présentation de mes idées sur cette deuxième partie, j'utiliserai les trois besoins supérieurs de la pyramide des besoins d'Abraham Maslow : les besoins d'estime, d'appartenance et d'accomplissement. Je négligerai volontairement les autres : besoin de sécurité, besoins physiologiques, considérant que le manager, eu égard à son niveau de rémunération les couvre aisément.

L'idée de cette partie n'est pas de faire un cours académique sur les différentes motivations mais simplement de les remettre en haut de l'esprit pour permettre la pleine compréhension du propos général.

  1. l'accomplissement : bien que l'accomplissement personnel puisse prendre toute une vie, le statut de manager, par ce qu'il permet d'enrichissement en termes de savoirs et d'expériences peut être considéré comme un moyen participant à la satisfaction du besoin d'accomplissement ;
  2. l'estime : "je suis Manager". Naturellement la verbalisation à haute voix n'est pas nécessaire, l'idée ici étant de comprendre que le "statut cadre" vient avec son lot de reconnaissance sociale en interne autant qu'en externe, là encore un individu en quête d'estime de soi pourrait être mis en énergie par la position de manager.
  3. l'appartenance : en interne principalement, le statut de cadre permet d'avoir la primeur d'accès à certaines informations, donc d'appartenir à un cercle possédant certains privilèges ou prérogatives.

En somme, la position de manager peut, pour certains individus être un véritable outil de progression personnelle et de réponse aux besoins assez individuels.

Mon objectif dans cet article n'étant pas de nier une réalité anthropologique mais de vous inviter à réfléchir sur la manière dont elle pourrait s'intégrer dans les objectifs de performance des entreprises.

Quid facere ?

(toujours plus puissant en latin, n'est-ce pas ?)

Si vous êtes manager opérationnel...

...et que vous vous êtes senti concerné par les deux grandes catégories abordées ci-dessus, voici mon conseil : entretenez-vous avec vous-même, questionnez sincèrement le jeu de valeurs qui vous anime, identifiez ce que j'appelle les moments de "travestissement" de votre personnage privé ou professionnel. L'idée ici étant de vous inviter à vous reconnecter à vos ambitions et aspirations profondes. La reconnaissance de l'entité alors que votre alignement n'est pas sincère ne vous sera d'aucune utilité.

Si vous êtes manager stratégique...

...pensez à cadrer la démarche de knowledge management. Assurez-vous que les réussites et succès deviennent des cas étudiés, intégrés et améliorés dans les services. Votre position hiérarchique pourrait également être un atout dans l'établissement d'une vision transversale.

L'idée ici étant de (ré)concilier quête individuelle de reconnaissance sociale du manager, chose absolument normale chez un être humain, et bénéfice pour l'organisation elle-même.

Tous mes vœux de succès

Olivier KAMEL


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