Torture managériale
Comment créer de la sécurité psychologique pour les équipes lorsque l'on est manager ? C'est le sujet dont je traite dans cet article et, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, je m'appuierai sur la charte de coercition de Biderman.
Vous avez peut-être déjà eu affaire à l'une des tactiques de la charte de coercition de Biderman (Biderman, 1957) sans le savoir ! Cette dernière est un modèle théorique présentant les techniques utilisées pour torturer psychologiquement et ou manipuler des individus.
Mon objectif déclaré (et sincère !) pour cette publication est de vous permettre en tant que manager d'utiliser ces techniques pour créer de la sécurité psychologique au sein de vos équipes.
Pour chacune d'entre elles, je suivrai le même procédé. Tout d'abord, je vous présenterai la technique initiale, sous son aspect manipulatoire avec un exemple de comportement managérial. Ensuite je vous proposerai une version vertueuse applicable à votre management quotidien.
Entrons dans le vif !
Les huit techniques de manipulation
1. L'isolement
Technique initiale : la personne est séparée de son environnement habituel, autant géographique qu'en termes de relations humaines, en positionnant le Manager comme l'unique "phare" dans la vie du collaborateur. L'objectif ici est clair : créer une dépendance au Manager. Sans liens sociaux, sans ses soutiens, le subordonné perd peu à peu la force de résister au traitement d'isolement et de dépendance que le Manager cherche à lui infliger. Le meilleur allié du Manager ici est l'inquiétude qui sera développée.
Exemple d'isolement : un manager qui évite de permettre à ses collaborateurs de travailler en équipe ou qui restreint leurs interactions avec d'autres départements. Il isole un subordonné en ne l'incluant pas dans les réunions importantes ou en limitant ses contacts avec les collègues clés, créant ainsi une dépendance envers le manager.
2. La monopolisation de la perception
Technique initiale : le mot clé dans cette technique est "l'information" qui n'est pas rendue facilement accessible pour la victime. L'objectif étant de façonner une interprétation de la réalité choisie par l'agresseur en fixant l'attention de la victime autant que possible sur des situations urgentes et difficiles dans le but de développer l'inquiétude abordée dans la technique de l'isolement. Un mécanisme souvent accolé : l'amplification et la répétition des nouvelles négatives et la minimisation des nouvelles positives. Enfin, toutes actions de remise en question de l'autorité sont réprimées.
Exemple de monopolisation de la perception : le manager contrôle l’accès à l’information en ne divulguant que ce qu’il veut communiquer, quand bien même cela ne servirait pas les objectifs du service dont il a la charge. ou en exagérant des informations négatives (comme la menace de licenciements) pour maintenir les employés dans un état de vigilance constante. Les bonnes nouvelles ou les informations positives sont souvent minimisées ou cachées.
3. Les humiliations et les dégradations
Technique initiale : humilier autant que possible, suffisamment fort pour blesser mais suffisamment subtilement pour ne pas constituer un cas de harcèlement. Le faire également de manière plus ou moins régulière. L'objectif : briser l'estime de soi du collaborateur tout en positionnant le prix de la lutte et de la résistance plus pénible que celui de la soumission.
Exemple d'humiliation et de dégradations : "Eh ben, pour une fois que c'est de qualité du premier coup !". Le manager humilie régulièrement l’employé en public, fait des commentaires désobligeants sur ses compétences ou son travail devant ses collègues, ou minimise systématiquement ses contributions. Cela peut aussi inclure des plaisanteries dégradantes sous couvert d’humour.
4. La provocation de l'épuisement
Technique initiale : ici il est question autant d'épuisement mental que physique. Mise en place d'un cycle d'abus et de récompenses pour développer la confusion psychologique, empêcher la victime de stabiliser son opinion à l'égard de l'agresseur et se retrouver dans un état d'émotion radical systématique (oscillation entre le très haut et le très bas). Mettre le sujet dans un état de fatigue idéalement physique et psychologique chroniques. L'objectif étant de lui enlever la volonté de combattre.
Exemple de provocation de l'épuisement mental : le manager alterne entre des périodes de félicitations particulièrement chaleureuses pour, soudainement et sans cause réelle et sérieuse s'orienter vers un comportement critique particulièrement cynique et agressif. L'objectif étant de créer une atmosphère de confusion et de stress chez l'employé, qui ne sait jamais à quoi s'attendre. Deux outils ici : éloges et critiques.
Exemple de développement de l'épuisement physique : le manager impose des délais irréalistes et favorise l'utilisation d'heures supplémentaires, laissant peu de place au repos ou à l’équilibre travail-vie privée. Souvent ces délais sont changés en dernière minute de façon à créer encore plus de stress, étant entendu que le collaborateur doit aussi organiser sa vie personnelle.
5. Les menaces
Technique initiale : la menace systématique, déclarée ou sous-entendue est perpétuellement entretenue pour maintenir le collaborateur dans un état émotionnel de crainte, renforçant encore les possibles erreurs qu'il pourrait commettre.
Exemple de menaces : "C'est mieux pour tout le monde qu'on finisse dans les temps, et surtout pour toi...J'en dis pas plus on s'est compris". Le manager utilise constamment la menace implicite (ou explicite) de licenciement, de rétrogradation, ou d’autres conséquences négatives pour maintenir une pression sur les employés.
6. Les indulgences occasionnelles
Technique initiale : c'est ce que j'appelle la technique de la "gifle" et de la "caresse". La caresse paraîtra d'autant plus douce qu'elle interviendra après une gifle. L'idée ici est de ne pas permettre à la victime de s'accoutumer à l'adversité et aux brimades de façon à ce qu'aucun mécanisme de résistance ne se crée. L'indulgence occasionnelle vient donc attendrir un court instant tout l'ensemble pour le rendre d'autant plus vulnérable à la nouvelle attaque.
Exemple d'indulgence occassionnelle : le manager peut parfois utiliser des phrases telles que "je sais que je peux être dur parfois, je pense que tu as besoin de repos, prends ton vendredi aprem, on se voit lundi".
7. L'exhibition de la toute-puissance
Technique initiale : l’agresseur ne rate aucune occasion pour manifester sa supériorité (réelle ou imaginée) empêchant l'idée même de contradiction dans l'esprit de la victime. Dans cette dynamique, cette dernière considère comme futile voire dangereux le fait de s'opposer ou de dévier du chemin tracé.
Exemple d'exhibition de la toute-puissance : "Ne vous avisez pas de faire différemment de ce que j'ai prévu !". Le manager affirme constamment son autorité en déclarant que "tout est de son ressort" et qu’il prend toutes les décisions importantes sans consultation. Il crée une atmosphère où les collaborateurs sentent que leur avis n’a aucune importance et que rien ne peut être contesté ou influencé.
8. Les exigences triviales
Technique initiale : demander tout et surtout n'importe quoi. L'objectif ici étant d'écraser l'individu et tous les mécanismes qu'il a construits pour se protéger en lui faisant exécuter des tâches complètement insignifiantes voire dégradantes.
Exemple d'exigence triviale : "quand vous apportez le café au client posez-le devant lui !". Le manager pet également exiger des rapports quotidiens très détaillés qu'il ne lira jamais.
La sécurité psychologique en 8 points clés
Pour vous éviter de parcourir à nouveau l'article voici les huit points clés vous permettant de renforcer la sécurité psychologique de vos équipes :
- favorisez la collaboration,
- épousez une posture d'Adulte, rationnel, pragmatique et factuel,
- gardez votre éthique dans la moindre des interactions avec votre équipe,
- sur le volet santé mentale, apprenez à maîtriser vos émotions pour ne pas impacter votre équipe inutilement ; sur le volet santé physique, assurez-vous qu'elle ait tout le nécessaire à la réalisation de sa mission,
- autorisez le droit à l'erreur (≠ faute)
- soyez d'humeur égale, congruent et régulier,
- responsabilisez vos équipes,
- donnez du sens à l'action.
J'ai développé ces points dans cet article.
Tous mes vœux de succès.
Olivier KAMEL
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